TRANSPOSER LA MEDECINE en compréhension de notre corps

Selon Le corps, notre rapport à la santé est fortement lié aux cultures auxquelles appartiennent les individus et aux choix politiques opérés par les gouvernements. Il propose la définition suivante pour une approche globale du corps et de la santé : « l’éducation pour la santé, est un acte d’accompagnement de l’homme pris dans ses trois dimensions : de sujet individuel désirant et contradictoire, de sujet inséré dans une culture qui le modèle et le contraint, de sujet politique collectivement responsable et à la fois dépossédé des choix de société qui conditionnent la qualité de la vie » (Le corps, 1989 cité par Brixi et al., 1996).

Dans ce contexte culturel et social, l’éducation scientifique peut prendre en compte la dimension individuelle de l’éducation pour la santé. Si, comme le montrent de nombreux travaux, l’approche cognitive stricte n’est pas pertinente pour faire de la prévention (Leselbaum, 1990 ; Brixi et al., 1996 ; Rumelhard, 1998 ; Marzin, 2001), la construction de connaissances sur le corps et son fonctionnement, comme les actions des drogues sur l’organisme, l’analyse qualitative et quantitative des aliments, la connaissance de l’anatomie… est un élément indispensable à toute action de prévention.

 C’est une part nécessaire mais non suffisante que les élèves peuvent intégrer et qui va les aider à prendre des décisions pour leur santé. La méthodologie préconisée pour faire une prévention efficace est souvent un travail par projet, impliquant personnellement l’élève, et répondant à ses questions et à ses attentes. Les situations à visée éducative ont pour objectif d’accompagner les élèves dans une réflexion sur leurs comportements actuels ou futurs. C’est le cas dans le domaine de la santé comme pour celui de l’environnement. Pour faire ce travail, enseignants et chercheurs s’appuient sur les travaux en santé publique qui apportent des connaissances sur les connaissances, croyances, attitudes, pratiques (enquêtes CAP ou KABP)1 , ils peuvent ainsi construire des situations pertinentes par rapport aux objectifs de santé publique et par rapport aux attentes des élèves.

L’analyse des situations peut aussi prendre en compte ces connaissances.

La recherche en didactique met en œuvre ses théories et ses méthodes pour questionner et/ou élaborer des situations à visée préventive dans le domaine de l’éducation pour la santé dans la mesure où les situations construites intègrent une intention didactique. Dans ce contexte, la connaissance de données épidémiologiques sur la santé des jeunes et des enfants peut également constituer un préalable pour prioriser les objectifs de santé publique et pour connaître les pratiques et les attentes des publics visés.

 Ainsi, dans son article, Guy Rumelhard prend l’exemple de l’obésité pour discuter le problème de la normalisation du corps : le point de départ de sa réflexion est l’épidémie d’obésité et ses données épidémiologiques. De façon plus générale, les données concernant l’état de santé des jeunes de 12 à 18 ans en France constituent un ancrage sociologique et psychologique qui finalise les actions de prévention mises en place. Elles constituent un indicateur sur le rapport qu’entretiennent les jeunes français avec leur corps. Un premier constat : on observe une forte diminution de la consommation d’alcool chez les jeunes depuis 30 ans. La consommation quotidienne a quasiment disparu, elle concerne moins de 1 % des jeunes aujourd’hui ce qui place les jeunes français au 32e rang en Europe. La consommation d’alcool est devenue plus festive, c’est une consommation de fin de semaine.

La consommation des adultes en France reste par contre élevée.

 La consommation de tabac est aussi en forte diminution, surtout chez les garçons. La diminution globale est due à une nette augmentation du prix du tabac (OFTD, 2005). Les filles consomment aujourd’hui autant de tabac que les garçons, phénomène général des pays développés : plus le pays est développé, plus les filles fument et c’est au nord que l’on observe le taux de tabagisme féminin le plus élevé. Le tabac reste la première substance psychoactive que les jeunes consomment régulièrement. En moyenne, les expérimentateurs ont fumé leur première cigarette à 13,6 ans pour les filles et 13,4 ans pour les garçons, ce qui situe les jeunes français dans la moyenne des pays européens. La consommation de cannabis a, elle, très fortement augmenté : elle a triplé en cinq ans, ce qui place les jeunes français en tête des pays européens (DESCO-MILDT2 , 2005).

Pour Choquet (2005) « cela montre aussi l’importance de l’économie parallèle à l’adolescence ». La consommation occasionnelle concerne la moitié des filles et les deux tiers des garçons. À 16 ans, 9 % des garçons et 4 % des filles ont une consommation régulière de cannabis ; à 18 ans, elle concerne 21 % des garçons et 7 % des filles.

 Cette consommation est liée au niveau scolaire des parents (les jeunes dont les parents ont un niveau d’études supérieur ont deux fois plus de risque de consommer du cannabis) et à la composition de la famille. La consommation d’ecstasy s’est accrue avec un taux de consommation de 4-5 % (DESCO-MILDT, 2005). Choquet (2005) présente d’autres données concernant la santé des jeunes. Elle soulève par exemple une nette augmentation de la dépression et des tentatives de suicide chez les jeunes filles (autour de 45 000 à 50 000 par an), ce qui représente, pour elle, un chiffre énorme.

Le taux de tentatives de suicide a doublé entre 1993 et 1999 chez les filles alors qu’il est resté stable chez les garçons. Des troubles des conduites alimentaires, des dépressions, des tentatives de suicide sont observés chez les filles alors que les consommations de drogues et les violences sont plutôt typiquement masculines.

Elle indique que la santé physique des jeunes s’est plutôt améliorée ces dernières années, hormis les allergies et les troubles du sommeil. Alors que l’on constate une amélioration de la santé physique et une nette diminution des accidents, les problèmes de santé mentale ont augmenté. La pathologie du xxie siècle, déclarée comme telle par l’OMS, est la dépression.

Choquet indique que la cause est que l’on a rendu pathologique des symptômes qu’il conviendrait de considérer comme révélateurs d’un malaise. Pour elle « on n’accepte plus que quelqu’un aille mal. Le malaise, qui a probablement toujours un peu existé, devient inacceptable, devient pathologie. On en déduit que les jeunes sont déprimés. Ce qui pouvait passer inaperçu à une époque ne le peut plus. Ce que l’on ne sait pas exactement, c’est si, de ce fait, on n’accentue pas le phénomène. » (ibidem). Cette augmentation pourrait donc être interprétée par l’abaissement du seuil de tolérance des adultes vis-à-vis des comportements des jeunes.

Toujours selon Choquet « aujourd’hui toute violence des jeunes est devenue inacceptable, on a abaissé notre seuil de tolérance. Du coup il y en a plus ! ». « Maintenant tout est considéré comme violent […]. Un gosse s’est bagarré dans la cour de l’école : il y a vingt ans, on s’en fichait. Aujourd’hui, on va le considérer comme violent, on va convoquer les parents, il va voir le psy, etc. » (ibidem). Ce constat nous amène à nous poser les questions suivantes : « quelle place pour l’incertitude ? », « quelle place pour l’errance et pour le doute ? » chez des jeunes qui sont souvent en questionnement.

SOURCE : Extrait du Rapport au corps : du corps analysé au corps ressenti Patricia Marzin, IUFM de l’académie de Grenoble ; Équipe SEED/MeTAH, laboratoire Leibniz (INPG, CNRS, UJF-Grenoble 1) ; patricia.marzin@imag.fr

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