Les « aventuriers » de la médecine

Tout se passe comme si les étudiants étaient impressionnés par toutes ces possibilités qui s’offrent à eux et, comme on l’a vu, bien hésitants face à ce large éventail de carrières. Toutefois, leurs choix se situent pour la plupart à l’intérieur de ce champ.

 Les projets éloignés de la pratique de la médecine « classique » s’avèrent assez rares. Ils n’apparaissent pas comme des « aventuriers » et font preuve de peu d’imagination. Peu d’étudiants envisagent en effet d’exercer la médecine humanitaire. Ce choix semble lié à des caractéristiques atypiques personnelles. Ainsi, cette jeune femme, en deuxième année, dit-elle vouloir s’engager dans l’humanitaire.

Ayant vécu au total 14 ans en Chine et beaucoup voyagé en Asie, elle a pu observer la misère dont souffrent certaines populations. Elle vit aujourd’hui à Paris, auprès de sa mère chinoise et de sa petite sœur. Son père, français, est resté en Chine où il travaille dans le milieu de la finance.

Elle n’entend cependant pas rester en France, et compte bien mettre ses futures compétences au service des gens dans le besoin :

« Q : Donc, c’est en quelque sorte pour rendre service aux autres et les aider que vous avez choisi médecine ?

Bien, quand on habite…enfin, moi j’habitais en Asie. On voyageait, c’est vrai qu’on voit beaucoup de gens qui sont malheureux, on voit beaucoup de gens qui souffrent et on a l’impression qu’on a besoin de médecins, qu’on a besoin qu’on les aide. Donc, c’est peut-être que ma vision de la médecine est différente de celle qui est en Europe, dans les pays développés, mais je pense encore celle que j’ai pour le moment est… de dire que des gens ont besoin, de façon vitale peut-être…

Q : Vous pensez que c’est votre séjour en Asie qui vous a poussée à faire médecine ?

 Euh, il y a peut-être un peu de social aussi… parce que je vois, j’ai vu beaucoup de gens qui n’avaient pas d’éducation, pas de médicaments, pas de soins, et pas du tout pris en charge en fait par rien du tout et…Peut-être pour éviter que ça se reproduise ou pouvoir aider ces gens-là un jour… ça m’attire de partir à l’étranger plus tard et d’aider des gens qui sont vraiment malheureux. » (26, femme, P2). Rares sont également les projets de se consacrer à la recherche. Qui dit médecine, dit contact avec des patients, quelle que soit d’ailleurs la manière dont est conçu ce contact. Cette représentation n’entre pas en adéquation avec l’image du chercheur, enfermé dans son laboratoire et entouré d’éprouvettes, de machines sophistiquées ou de cobayes.

Une des rares étudiantes ayant exprimé son intention de « faire de la recherche », décrit avec précision son projet, qui évoluera peut-être puisqu’elle n’est qu’en première année : « Euh, en fait, j’avais mis en premier choix, j’avais mis La Pitié-Salpêtrière, en deuxième choix, j’avais mis Saint-Antoine parce que c’était rattaché à Paris 6, à Jussieu, et que comme je veux faire de la recherche, euh…Enfin, si je veux pas faire médecine, je sais qu’il faut que je fasse un…une équivalence à la fac en même temps, passer un DEA. C’était avant, mais je sais plus si c’est exactement ça, et je pensais que comme c’était l’Université de Jussieu, que c’était une grosse…une grosse fac de sciences, je me disais que c’était mieux, c’était mieux pour moi, enfin pour mes études.

Q : Seriez-vous prête à accepter une mobilité géographique pour exercer ?

Je sais pas (rires), ça dépend, ça dépend, par exemple, si je dois faire de la recherche et que, comme en France, c’est peut-être pas très ouvert et moins de moyens…enfin…des personnes qui m’ont dit que c’était, c’était bien de partir à l’étranger pour faire de la recherche. Donc s’il faut le faire, oui, oui oui ! Mais si c’est pour être médecin, sans faire de la recherche, non je pense pas, je pense que je préférerais rester habiter en France.

 Q : Vous avez parlé de la recherche, avez-vous une préférence pour un domaine de la recherche en médecine ?

Bien, j’aime bien la génétique, mais sinon non, enfin…tout ce qui touche à la médecine, enfin l’immunologie, la recherche en cancer, non c’est…il faut pas, ça va, il faut pas…j’ai pas un domaine où, oui j’aime bien la génétique ».

Elle s’engage donc dans des études de médecine parce qu’elles peuvent la conduire vers la recherche. Si elle rate son concours et ne peut continuer dans cette voie, elle se dit prête à changer d’orientation : « …Donc et comme je vous ai dit, je veux faire de la recherche et que je peux y arriver, je peux faire de la recherche par une fac, une fac de bio, je préfère aller à la fac que faire dentaire ou sage-femme ou kiné. » (71, P1).

 Enfin, l’enseignement est parfois cité comme le projet d’une activité principale ou parallèle à celle de praticien. Deux hommes évoquent cette intention, le premier est atypique dans le sens où il a derrière lui une expérience d’infirmier qui lui a permis de découvrir le milieu médical et de mieux définir ses projets ; le second est quant à lui fortement influencé par l’exemple de son père :

1/ « Non, il y a le privé et le public. Mais c’est vrai que le public m’intéresserait plus par rapport à l’enseignement. J’aimerai bien aussi enseigner, je pense que le public m’intéresserait plus. Mais parce qu’aussi j’ai une expérience du privé, le privé, c’est rentabilité, rentabilité ! Donc, ça ne m’intéresse pas. Même si on est mieux payé, c’est pas forcément… » (16, homme, ex-infirmier, P2)

 2/ « Oui, pour moi, oui complètement alors que je me dis, l’avantage de la médecine générale par rapport à ce que je vous ai dit tout à l’heure, c’est que l’on a le temps, on peut faire, on peut se former, soi d’abord, ensuite on peut faire de l’enseignement et ensuite, on peut faire de la recherche dans des étapes différentes.

On n’est pas obligé de faire comme c’est imposé chez les spécialistes, tout en même temps et donc ça permet selon moi de pouvoir avoir cette vie de famille à côté. Et donc moi, je n’ai rien contre la recherche même si ça ne m’attire pas parce que pour l’instant, ça n’est pas dans mes problématiques. Mais voilà, moi, je n’ai pas envie de faire ça. À la limite, l’enseignement ça me plaît, c’est-à-dire que j’ai adoré enseigner aux étudiants en dessous de moi.

Quand j’étais D4, j’adorais enseigner aux D2. Quand j’étais interne, j’adorais enseigner à mes externes, mais parce que je pense que j’avais beaucoup reproché ça et je pense qu’on ne me l’avait pas suffisant fait. Alors pour me faire plaisir personnellement, peut-être en saoulant d’ailleurs les externes qui auraient préféré avoir quelqu’un qui les laisse tranquille puisqu’ils avaient une autre vision » (82, homme, résident).

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« Alors je voulais faire tout sauf médecine parce que, aucun de mes grands parents n’est médecin et mes deux parents sont médecins. Mes deux parents sont médecins. Tous leurs amis pour ainsi dire sont des couples où il y a au moins un médecin. Donc j’ai vraiment baigné, je suis né là-dedans, j’étais vraiment baigné, baigné depuis tout petit dans ce monde médical et puis en plus, si ma mère sait parler un petit peu d’autre chose, mon père, lui, vraiment, ne fait que ça, il n’y a que ça, ses autres loisirs sont rapidement disparus au profit d’enseignements, de recherche, tout tournant autour de la médecine.

Donc j’avais vraiment pas envie de faire ça, d’abord pas faire comme mes parents et puis en plus parce que je ne voyais à l’époque que les côtés négatifs, c’est-à-dire le temps que prenait ce métier, c’est vraiment très, très chronophage et donc voilà, j’avais vraiment envie de tout sauf de ça. Et puis dans l’année ou dans les 6 mois où j’ai été en difficulté et j’ai commencé à me dire : est-ce que vraiment je voulais être prof de maths, comme c’était mon idée au départ. » (82, homme, résident).

Les choix sortant du chemin classique du soin, de la pratique de la médecine au chevet des malades et dans un système encadrant s’avèrent donc rares. Le chapitre suivant sera consacré à un examen des projets classiques des étudiants en médecine et aux grands types de choix qui se dégagent, toujours, rappelons-le, sur un fond d’incertitude.

EXTRAIT d’un texte De « faire médecine » à « faire de la médecine » Sous la direction scientifique d’A.-C. Hardy-Dubernet et C. Gadéa n° 53 – octobre 2005

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