Développement des modèles animaux en médecine

1 - singeLe développement des modèles animaux en médecine depuis la fin de la seconde guerre mondiale a connu une période d’euphorie durant les décennies 1960-1990. De nouveaux outils ont permis de rêver à la construction d’une souris idéale, mais la science des modèles animaux a suivi d’autres chemins.

Le concept de « modèle animal » est devenu central dans les sciences médicales contemporaines de manière progressive et surtout à partir des années soixante, avec des occurrences de citation maximales du concept au cours des années quatre-vingt-dix. Le développement de ces modèles a connu une époque d’expansion prodigieuse tout au long de ces quatre décennies. Elle a initié une période plus récente d’interrogation épistémologique et historique sur la signification de ce phénomène et une critique, de ce qu’est, d’une part, un modèle animal aujourd’hui et, d’autre part, de ce qu’il ne peut pas être.

Un modèle animal est un animal modifié ou présentant une caractéristique spontanée, intégré dans un système expérimental en vue d’étudier des processus pathogéniques et/ou des actions thérapeutiques qui seront utiles pour comprendre et soigner des pathologies humaines. Dans le domaine de la chirurgie, l’entraînement aux procédés opératoires sur des animaux, ou la reproduction de lésions sur l’animal en vue d’imaginer des traitements, sont des pratiques anciennes qui utilisent des modèles animaux bien caractérisés au XVIIIe siècle et dans la physiologie expérimentale du XIXe siècle.

Ce concept est éloigné de celui d’«  organisme modèle » ou d’«  animal modèle ». Dans ces derniers cas, on a affaire à des animaux sélectionnés par une communauté de chercheurs pour aborder, d’une même façon et au sein d’une culture épistémique particulière, une série de problèmes scientifiques fondamentaux.

Les modèles animaux ont été développés pour répondre à des interrogations concernant les traitements et les causes de certaines pathologies humaines dans des cadres théoriques particuliers caractérisés par certaines théories pathogéniques en lien avec les sciences biologiques du moment.

chat

L’établissement de nouveaux modèles animaux est rendu possible par le développement corrélatif de nouveaux moyens pour les réaliser qui sont ceux qui ont permis l’élaboration et l’objectivation des nouveaux concepts. On crée des souches stables d’animaux sains, auxquels on peut inoculer des agents infectieux particuliers ou des cellules tumorales animales ou humaines. Les nouvelles technologies sont aussi testées sur de grands animaux plus proches de l’homme à certains égards, dont les conditions d’élevage sont bien établies et qui sont, surtout, domestiqués. Le rat et la souris sont les deux espèces qui procurent le plus de modèles réalisés par les nouveaux outils biotechnologiques, comme les souches transgéniques qui remplacent progressivement la sélection d’animaux mutants présentant des déficits identifiés et dont l’étude a généralement été décevante.

Toutefois, la réalisation d’un modèle animal ne se limite pas à la création d’un animal présentant certaines caractéristiques pathologiques ou certaines modifications destinées à prévenir ou traiter une pathologie qui n’est pas présente. Le modèle animal est également partie intégrante d’un système expérimental qui réalise, dans son ensemble, les conditions qui déterminent un état pathologique et qui présente des similitudes avec un état chez l’homme. Par exemple, une souche de rat épileptique ne constitue pas en elle-même un modèle animal de l’épilepsie humaine. Ce qui est étudié, ce sont des successions de crises d’épilepsie qui sont tout aussi bien déterminées par le fond génétique, les conditions d’élevage et les facteurs environnementaux immédiats. Le modèle animal est donc bien un dispositif et pas seulement une catégorie d’animaux de laboratoire.

Une autre caractéristique récente de l’évolution des usages des modèles animaux dans les sciences biomédicales est l’utilisation de combinaisons de modèles animaux pour une même maladie dans le but de départager les facteurs multiples comme les facteurs génétiques, les facteurs environnementaux et les facteurs sociaux.

On continue d’utiliser un grand nombre de modèles animaux créés par des agents pharmacologiques, des lésions chirurgicales et des pathologies animales spontanées pour l’étude de pathologies humaines multifactorielles. Cependant, d’une manière plus générale, on prend conscience qu’un modèle animal ne reflète que certaines caractéristiques spécifiques des pathologies humaines et qu’un modèle particulier ne permet d’étudier qu’un certain processus pathogénique qui peut être à l’œuvre dans une pathologie humaine. Les modèles sont donc étudiés de manière critique et les données histopathologiques sont systématiquement comparées aux données humaines.

Beaucoup de critiques ont été émises sur l’utilisation de ces modèles animaux. On leur reproche en particulier de trop miser sur le modèle de la pathogénie génique et de ne pas prendre suffisamment en considération les facteurs sociaux et environnementaux. D’autre part, certains modèles animaux ont pu retarder la découverte chez l’homme de certains processus pathogéniques

chien sauvage

La multiplication des modèles animaux constitue un ensemble de véritables systèmes de modèles expérimentaux qui sont confrontés pour étudier des pathologies humaines poly factorielles. Le but n’est plus de créer une maladie animale proche d’une maladie humaine, mais de constituer de véritables stratégies d’études animales pour délimiter les aspects importants des pathologies humaines, les étudier sur l’animal avec des outils modernes, et de retourner à la recherche clinique chez l’homme avec des modèles théoriques précis et testables.

D’ailleurs, un atelier de la Commission européenne intitulé « Are mice relevant models for human disease ? » qui s’est tenu à Londres en 2010 réaffirme que, malgré des essais pharmacologiques infructueux chez l’homme, les modèles murins demeurent irremplaçables dans les recherches précliniques. Les adversaires de ces modèles et de l’expérimentation animale en général devraient savoir à présent que la multiplication de comités d’éthique pour l’expérimentation animale garantit contre le sacrifice inutile d’animaux et crée des conditions expérimentales minimisant la souffrance animale. Les progrès de la recherche biomédicale résident encore et de manière toujours plus importante dans l’intégration des recherches précliniques animales et cliniques sur l’homme par des circulations complexes de connaissances.

Extrait :

Référence papier : Jean-Gaël Barbara, « Histoire contemporaine des modèles animaux en médecine », Histoire de la recherche contemporaine, Tome IV-N°1 | 2015, 8-14.

Référence électronique : Jean-Gaël Barbara, « Histoire contemporaine des modèles animaux en médecine », Histoire de la recherche contemporaine [En ligne], Tome IV-N°1 | 2015, mis en ligne le 15 juin 2017, consulté le 15 décembre 2017. URL : http://journals.openedition.org/hrc/894 ; DOI : 10.4000/hrc.894

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